History of the Journèes Arithmètiques


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par

Jacques Martinet

La fondation.

Les Journées Arithmétiques ont eu lieu pour la première fois à Grenoble en 1960 (et non en 1961, comme je l'ai fait écrire par erreur dans les actes des Journées de 1983), à l'initiative de Claude Chabauty, désireux de structurer quelque peu la théorie des nombres française et de la faire connaître dans le milieu des mathématiciens français. À cet effet, il a organisé, avec le soutien de la Société Mathématique de France, cinq exposés pendant l'avant-dernier week-end du mois de mai, et édité et fait distribuer aux participants une brochure polycopiée contenant de courts résumés des conférences. Ces conférences, destinées à vulgariser chacune un thème de théorie des nombres, ont été prononcées par Claude Chabauty (Grenoble), François Châtelet (Besançon), Roger Descombes (Paris), Charles Pisot (Paris) et Georges Poitou (Lille). Elles ont été par la suite rédigées et publiées dans L'Enseignement Mathématique, revue suisse dont F.Châtelet était l'un des rédacteurs. En voici les titres:

C. Chabauty Introduction à la géométrie des nombres

F. Châtelet Introduction à l'analyse diophantienne

R. Descombes Problèmes d'approximation diophantiennes

C. Pisot Introduction à la théorie des nombres algébriques

G. Poitou Le théorème de Thue-Siegel-Roth

Les référence précises sont les suivantes:

8 (1962),41-53; 6 (1960),3-17; 6 (1960),18-26; 8 (1962),238-251; 7 (1961),281-285.

Par la suite, ces textes, complétés par une Bibliographie de l'arithmétique écrite par F. Châtelet, ont été regroupés dans le numéro 6 des "Monographies de l'Enseignement Mathématique" (numéro épuisé), dont ils occupent les 80 premières pages. [Les pages 81 à 127 sont consacrées à un article de Paul Erdös intitulé Quelques problèmes de la théorie des nombres.]

Étant alors étudiant en licence de mathématiques à Grenoble, et déjà pourvu d'un goût prononcé pour l'arithmétique, j'ai écouté les exposés, et, dès la fin de mes études, me

suis tourné vers les aspects algébriques de la théorie des nombres, influencé par l'exposé de Châtelet, consacré aux courbes elliptiques, introduites via le théorème de Fermat pour l'exposant 4 en liaison avec la courbe y2=x(x2+1), et par celui de Pisot, montrant la riche extension de l'arithmétique que permet la notion d'entier algébrique. Je ne savais pas à l'époque que l'exposé de Chabauty, montrant sur l'exemple des minima des formes quadratiques réelles à deux variables que la théorie des nombres peut faire bon ménage avec les nombres réels, aurait bien plus tard une influence sur le choix de mes recherches, et je dois dire que j'ai toujours suivi avec intérêt ce qui se passe dans le domaine des approximations diophantiennes, même si les exposés de Descombes et de Poitou ne m'ont pas conduit à effectuer moi-même des recherches dans ce domaine.

Les Journées Arithmétiques étaient loin de ressembler à ce que nous connaissons maintenant, où l'on fait un large tour d'horizon des progrès récents de la théorie des nombres. Il s'agissait plutôt d'une opération de vulgarisation et de propagande, et la salle de conférences de l'ancien Institut Fourier de Grenoble, certes de taille modeste, fut bien garnie, grâce en particulier à la participation de nombreux professeurs de l'enseignement secondaire. De ce point de vue, ces premières Journées furent une réussite.

Il fut aussi décidé par les conférenciers que l'expérience devrait être répétée. Ce fut fait grâce aux deux autres conférenciers provinciaux, qui organisèrent les deuxièmes et troisièmes Journées Arithmétiques à Lille en 1963 et à Besançon en 1965.

C'est de cette époque lointaine que date la tradition discutable de ne pas organiser les Journées Arithmétiques à Paris.

L'année 1963 marque une évolution radicale de l'université française, sensible dans tous les domaines de la science, et particulièrement en mathématiques: un important recrutement d'assistants eut lieu en France au début des années soixante. Les Journées de Lille furent l'occasion pour Georges Poitou de mettre dans le bain les assistants Lillois avec l'exceptionnel dynamisme qui ne l'abandonna jamais. L'auditoire fut constitué essentiellement de chercheurs professionnels, les exposés restant encore pour l'essentiel le fait de professeurs de la génération précédente.

L'évolution de la structure du corps enseignant des universités a entraîné l'apparition aux Journées de Besançon organisées en 1965 par François Châtelet des premiers exposés rendant compte de travaux originaux de jeunes chercheurs; Georges Poitou fit en sorte qu'il y eut encore une solide implication des Lillois, en faisant faire par les plus jeunes des exposés sur des articles qu'il avait choisis.

C'est en 1967, avec les Journées Arithmétiques de Grenoble, que la vague de recrutements du début des années 1960 fit pleinement sentir ses effets. Les organisateurs décidèrent de consacrer l'essentiel du temps de parole à l'exposé de thèses fraichement soutenues ou sur le point de l'être. Ces Journées virent aussi pour la première fois la participation de quelques mathématiciens étrangers de passage en France.

 
L'ouverture.

Il fut décidé à Grenoble que les Journées Arithmétiques prochaines seraient organisées à Marseille, au mois de mai de l'année suivante, à l'Université Saint-Charles, au centre de la ville. La situation politique française en décida autrement: la France fut paralysée pendant près d'un mois par les "événements de mai". Les organisateurs durent in extremis annuler les Journées quelques jours avant la date prévue de leur ouverture.

Les collègues marseillais, encore sous le choc, préférèrent laisser passer leur tour. Jean Fresnel saisit alors la balle au bond, et proposa l'organisation à Bordeaux des 5ièmes Journées Arithmétiques à l'automne 1969. Un groupe important d'arithméticiens d'une trentaine d'années venait de s'installer à Bordeaux, en particulier sous l'influence de Pisot, qui y avait été lui même professeur quelques années auparavant. C'était l'occasion de faire connaître notre université, et nous prîmes l'initiative d'inviter plusieurs collègues étrangers, accompagnés s'ils le souhaitaient par l'un de leurs doctorants. L'internationalisation, déjà quelque peu programmée pour l'année précédente, était en marche.

La tradition d'éditer les actes dans une publication officielle fut reprise, et j'en assurai l'édition, grâce au soutien de la S.M.F. qui mit un volume de ses Mémoires à notre disposition.

Les Journées Arithmétiques suivantes eurent lieu en 1971, à Marseille comme il se doit. Pour des raisons techniques, l'université de Saint-Jérôme remplaça l'université de Saint-Charles prévue en 1968. Il y eut quelques soubressauts post-1968 au cours d'une séance présidée par Bateman. Celui-ci sut trouver les mots justes à dire aux étudiants, avec la sagesse et le doigté que confèrent l'âge et une longue expérience des campus américains.

Les Journées Arithmétiques suivantes, organisées en 1973, furent les troisièmes Journées grenobloises. Les organisateurs innovèrent, transgressant l'usage de les organiser avant les examens de juin ou au mois de septembre, en les faisant se tenir au mois de février. Les participants eurent la chance de pouvoir découvrir le ski de fond, que les Jeux Olympiques d'hiver avaient fait connaître aux grenoblois cinq ans auparavant. L'idée de 1967, consistant à privilégier les exposés des jeunes au voisinage de la thèse, fut maintenue. De ce fait, les conférenciers de 1967 furent assez souvent remplacés par leurs élèves.

Les Journées retrouvèrent une date canonique, au printemps de 1974, avec leur seconde édition bordelaise, organisée par Pierre Damey. L'exposé par Heini Halberstam mit en lumière les travaux de Chen sur la conjecture de Goldbach (2n=p1+p2 ou p1+p2p3), qui, publiés dans une obscure revue chinoise, n'avaient pas connus la diffusion qu'ils méritaient. En même temps que la date canonique, les Journées retrouvèrent l'édition d'un volume d'actes, comme ce fut le cas déjà à Bordeaux en 1969, et encore une fois avec la complicité de la S.M.F., qui mit à la disposition des organisateurs un volume double d'Astérisque, une publication créée peu de temps auparavant. Depuis, les actes des Journées ont été systématiquement publiés.

Les Journées Arithmétiques suivantes furent organisées à Caen au printemps de 1976, par un temps plus estival que printanier, sous la responsabilité de Roger Apéry. Deux nouveautés, imposées par le succès croissant de l'institution, et dont l'usage s'est maintenu jusqu'à présent, furent introduites à la suite de discussions tenues à Bordeaux: d'une part, on décida de consacrer les matinées à des conférences d'exposition, permettant de faire le tour d'un sujet; d'autre part, on fractionna les après-midis en plusieurs thèmes faisant l'objet d'exposés plus courts ayant lieu en parallèle. Les Journées Arithmétiques ont depuis fonctionné ainsi. Malgré tout, le temps faisant défaut, on travailla jusqu'au samedi à midi, où deux conférences eurent lieu devant un amphithéâtre comble. Qui oserait de nos jours se risquer à dépasser les cinq jours traditionnels?

Peu avant les Journées, Roland Gillard fut amené à changer le titre initialement prévu de son exposé pour adopter la formulation "µ=0", Ferrero et Washington ayant résolu quelques mois auparavant la conjecture célèbre de la théorie d'Iwasawa sur les Zp-extensions cyclotomiques.

Après Caen, les Journées Arithmétiques eurent lieu une seconde fois à Marseille, en 1978, cette fois à l'université nouvelle de Luminy, sous la responsabilité de Gérard Rauzy. Il y eut un événement pendant ces Journées: la conférence d'Apéry au cours de laquelle fut annoncée la preuve de l'irrationalité de z(3). Certes, les avis étaient partagés à l'issue de l'exposé quant à la fiabilité de la démonstration. L'avenir a prouvé que les idées étaient bonnes, et même exploitables de façon relativement directe.
 

Les Journées Arithmétiques deviennent européennes.

Lors des Journées de Marseille, un "collectif" de collègues anglais fit la proposition, "afin de remercier les arithméticiens français pour leurs nombreuses invitations", de tenir en Angleterre les Journées suivantes. Cette proposition fut acceptée avec enthousiasme, et les Journées Arithmétiques de 1980 furent organisées pendant la période de Pâques dans la charmante ville d'Exeter, au sud de l'Angleterre, dont l'université est bien adaptée à l'accueil de congressistes. À la demande de Poitou, il fut souhaité que les Journées aient lieu néanmoins une fois sur deux dans leur pays d'origine. Cette alternance a été respectée jusqu'à présent.

Le "scoop" fut cette fois l'annonce pendant le congrès de la démonstration par Mazur et Wiles de la "conjecture principale de la théorie d'Iwasawa", ce qui résolvait du même coup la conjecture proposée par Georges Gras lors du dernier exposé des Journées de Caen. Les organisateurs avaient eu la sagesse de laisser un peu de place dans la liste des exposés principaux. Il fut ainsi possible à John Coates de faire deux conférences sur ce résultat.

Malgré le souhait souvent exprimé dans le passé de fixer à deux ans la périodicité de Journées Arithmétiques, les suivantes (pour des raisons techniques) furent organisées par Georges Rhin dès l'année 1981, à Metz, un site privilégié pour l'ouverture vers l'Europe. De fait, les mathématiciens allemands fournirent pour la première fois un grand nombre de congressistes, un fait important pour l'avenir de Journées.

Depuis les Journées de Metz, la périodicité de deux ans a été la règle, et l'alternance nous conduisit en 1983 aux Pays-Bas, où Hendrik Lenstra et Robert Tijdeman organisèrent les Journées Arithmétiques au début de l'été dans le centre de congrès de Noordwijkerhout, à mi-chemin entre leurs universités respectives d'Amsterdam et de Leyde (=Leiden). L'événement fut cette fois l'annonce faite quelques semaines auparavant de la démonstration, après quelque soixante ans de résistance, de la conjecture de Mordell. Les organisateurs mirent sur pied rapidement une conférence de Gerd Faltings, qui mobilisa l'essentiel des congressistes en une fin d'après-midi.

Le retour en France nous conduisit pour la deuxième fois à Besançon, où Jean Cougnard organisa en 1985 les 1ièmes Journées Arithmétiques, exactement 20 ans après celles de François Châtelet. Tout le monde apprécia leur excellente organisation, au sein d'une ville à taille humaine.

Il fut décidé à Besançon que les Journées Arithmétiques suivantes auraient lieu à Ulm en 1987, ville elle aussi à taille humaine. Je me souviens que quelques sourires accueillirent l'annonce que l'adresse précise serait Eselsberg. Leur organisation par Wirsing, un ancien des Journées, puisqu'il était présent à Bordeaux en 1969, fut un succès.

En 1989, Marseille accueillit les Journées Arithmétiques pour la troisième fois, sur le campus de Luminy comme en 1978. Entre temps, un événement important pour les mathématiciens français avait eu lieu: l'aménagement en centre de congrès (le C.I.R.M.) sur le site de Luminy d'une ancienne demeure provençale. Grâce à la ténacité de quelques uns, dont Georges Poitou, décédé peu après ces Journées. auxquelles sa santé ne lui avait pas permis de participer, la communauté mathématique française avait enfin son "Oberwolfach". Gilles Lachaud, le premier directeur du C.I.R.M., organisa à Luminy, autour du C.I.R.M., ces 16ièmes Journées Arithmétiques. La taille des actes, qui occupent un volume triple d'Astérisque, a atteint à cette occasion un maximum.

À Marseille, ce fut la Section de Mathématiques de l'Université de Genève, en les personnes de Daniel Coray et Yves-François Pétermann, qui fut désignée pour organiser l'édition suivante. Vu l'exiguïté des locaux propres de la Section, les conférences eurent lieu à l'Université de Genève, sur les bords de l'Arve, tout près du centre de la ville.

Pour la 18ième édition des Journées Arithmétiques, prévue en France, la candidature de Bordeaux, par la taille de son équipe de théorie des nombres, s'imposait, après presque 20 ans d'interruption. J'eus le redoutable honneur d'être chargé de l'organisation pour 1993, tâche dont je m'acquittai avec la collaboration de Francine Delmer.

L'annonce avant les vacances d'été de la démonstration par Wiles de la conjecture de Fermat, sans aucun doute le plus célèbre des problèmes qui aient atteint le grand public, nous obligea à changer nos plans. La présence de Jean-Pierre Serre et l'invitation in extremis de Richard Taylor nous permirent de consacrer une matinée à l'exposé d'un schéma de démonstration, dont les zones d'ombre ne furent pas cachées. Comme on le sait maintenant, il restait à cette époque une sérieuse lacune, et je dois dire que Serre nous mit en garde. À l'heure où j'écris ces lignes, cette lacune est comblée, et tout le monde gardera de ces Journées le souvenir de "Fermat" plutôt que celui du temps épouvantable qui avait régné au cours de cette semaine de Septembre.

À Bordeaux, Pilar Bayer s'est proposée pour organiser à Barcelone les 19ièmes Journées Arithmétiques. Cet aperçu historique prend fin avec ce rendez-vous pour juillet 1995 dans la métropole catalane.

 

 Talence, le 1e mai 1995

 

P.S. (Le 23 octobre 1998.)
    (1) J'aimerais corriger deux points du texte ci-dessus:
(a) J'ai oublié (remarque de J. Cougnard) de mentionner les actes des Journées de 1973. L'oubli est réparé page suivante, où j'ai de façon plus générale mis à jour la bibliographie.
(b) Il faut ajouter le nom de Michel Mendès France à celui de Jean Fresnel comme organisateurs des Journées Arithmétiques e Bordeaux de 1969.
    (2) Les Journées de 1995 ont eu lieu comme prévu au mois de juillet à Barcelone sous la responsabilité de Pilar Bayer. Elles ont été suivies par celles de Limoges organisées par Jean-Pierre Borel en 1997, au mois de septembre. Les prochaines Journées, organisées par René Schoof, auront lieu à Rome en 1999, au mois de juillet.

Liste des Journées Arithmétiques

Nous donnons ci-dessous la liste des Journées Arithmétiques ainsi que les références des actes des Journées qui ont fait l'objet d'une publication "officielle". La liste des actes ne tient pas compte de divers recueils de textes qui ont été polycopiés à l'initiative d'universités organisatrices.

Les revues qui ont accueilli des actes sont:
 

Ast Astérisque, publication de la Société Mathématique de France. 
BSMF Bulletin de la Société Mathématique de France (Mémoires). 
CM Collectanea Mathematica (Universitat de Barcelona) 
JTdN Journal de Théorie des Nombres de Bordeaux. 
LMS London Mathematical Society, Lecture Notes Series. 
MEM  Monographies de l'Enseignement Mathématique.
SLN Springer Lecture Notes in Mathematics (Springer-Verlag).

 

1960 Grenoble  MEM  no6 (1962), 1-80
1963 Lille    
1965 Besançon     
1967 Grenoble     
1969 Bordeaux BSMF  Mém. no25 (1971), 188pp.
1971 Marseille     
1973 Grenoble  BSMF Mém. no37 (1974), 192pp.
1974 Bordeaux Ast no24-25 (1975), 336pp.
1976 Caen Ast no41-42 (1977), 282pp
1978 Luminy (Marseille) Ast  no61 (1978), 249pp. 
1980 Exeter LMS no56 (1982), 392pp. 
1981 Metz Ast no94 (1982), 196pp. 
1983 Noordwijkerhout SLN no1068 (1984), 296pp. 
1985 Besançon Ast no147-148 (1987), 346pp.
1987 Ulm SLN no1380 (1989), 266pp. 
1989 Luminy (Marseille) Ast no198-199-200 (1991), 403pp.
1991 Genève Ast.  no209 (1992), 319pp
1993 Bordeaux JTdN no 7 (1995), 365pp.
1995 Barcelone CM no 48 (1997), 234pp.
1997 Limoges Ast  à paraître
1999 Prévues à Rome